dimanche 17 mars 2013

DSI : Vers la guerre spatiale

Il n’est pas trop tard. Je voudrais signaler ici la parution d’un nouveau hors série DSI spécialement consacré à l’espace, intitulé « Vers la guerre spatiale ». Et de fait, le propos, découpé en trois sections (« changements d’époque », « politique spatiale » et « vecteurs »), suscitera j’en suis certain l’intérêt et la curiosité du lecteur.
L’amateur trouvera son compte avec des articles variés abordant tour à tour les principaux enjeux du spatial aujourd’hui. Le professionnel appréciera quant à lui le regard des non-spécialistes du domaine qui, malgré certains raccourcis, posent des jalons originaux dans une perspective globale, véritable marque de fabrique de DSI.

J’y contribue pour ma part pas moins de trois fois.

Dans un premier article, je m’intéresse à deux ouvrages américains que je qualifie comme appartenant à la science fiction dite hard, plus précisément le genre de la « fiction de la guerre du futur » (future war fiction). C’est vrai sur le plan technique : nous sommes plus près des écrits de von Braun que des aventures de Buck Rogers, Luke Skywalker et Barbarella. Ca ne l’est pas moins sur l’aspect politique : le premier exemple est un techno-thriller, le second un essai géopolitique. Malgré un horizon temporel différent, Space Wars: The First Six Hours of World War III se passe de nos jours, The Next 100 Years: A Forecast for the 21st Century situe son action – du moins celle qui nous intéresse – en 2030-2045, tous les deux postulent que l’arsenalisation de l’espace, ainsi que l’éclatement de la guerre en orbite sont des événements inévitables auxquels il faut se préparer.

Un second article s’intéresse au concept de l’avion spatial. La controverse est presque religieuse. Et si j’avoue pour ma part être aujourd’hui fortement sceptique quant à la possibilité de voir l’avion spatial l’emporter sur le lanceur conventionnel, cela ne m’empêche pas de remettre le MSP (Military Space Plane) dans son contexte et d’explorer l’ensemble des options que le concept recouvre. N’en demeure pas moins que la question est peut-être davantage politique et culturel que technique. Pour les partisans de l’avion spatial, la continuité entre l’atmosphère et l’espace ne prête pas à discussion. Bien qu’il s’agisse de deux milieux différents, les deux peuvent être réunis (le néologisme « aérospatial ») et un appareil hybride créé : l’avion spatial. Pour les sceptiques, les deux milieux sont radicalement distincts. Séparés par des lois physiques différentes, ils nécessitent pour leur exploration et exploitation des forces autonomes : les plus lourds et plus légers que l’air d’une part, les satellites et autres « croiseurs spatiaux » maintenus en orbite d’autre part.

Moins porté sur l’imagination, moins polémique aussi, le dernier article s’interroge sur la tendance consistant à délaisser les gros satellites (les Battlestars) pour des plateformes plus petites, moins lourdes et plus flexibles (micro, nano, picosats, etc.). Pour limitée qu’elle puisse paraître (toutes les missions militaires ne sont pas compatibles ; pour le moment seules les communications – stratégiques et tactiques – et la météorologie sont susceptibles d’en faire l’objet), elle est en tout cas prise très au sérieux par les militaires du Pentagone dans le contexte budgétaire déprimé actuel. Alors que l’USAF est en pleine redéfinition de ses moyens spatiaux, la disaggregation, sous toutes ses formes (hosted payloads, essaim, etc.), serait annoncée pour 2015.

On lira bien entendu les autres contributions. Celle de Jean-Luc Lefebvre vaut sans doute le détour, ce serait-ce que parce qu’elle est originale et plaisante à lire. L’entretien accordé par le général Yves Arnaud du CIE à DSI est lui aussi passionnant, beaucoup plus d’ailleurs – c’est mon humble avis – que les précédentes interventions effectuées ici et là dans diverses revues et magazines. Sans oublier les analyses habituelles toujours enrichissantes de Joseph Henrotin, Benoist Bihan et des autres. Trois points me paraissent pouvoir faire l’objet d’une mise au point future :

- Le premier concerne le postulat de l’ouvrage lui-même, soit l’inéluctabilité de la guerre en orbite et qui mériterait très certainement d’être discutée, ainsi en rapport avec le contournement de la problématique des débris, l’aspect guerre électronique, etc.

- Le deuxième touche à l’état de la menace antisatellite : à parler des projets actuels (ou présumés) chinois et indiens, ainsi que des programmes hérités de la guerre froide aux Etats-Unis et en URSS/Russie, on en oublie que beaucoup plus près de nous se trouvent des pays avec des ambitions et des capacités (la France pour ne pas la citer) et que tout ce qui est ASAT résiduels vaut aussi la peine d’être explorée (DAMB, etc.).

- Enfin, la vulnérabilité réelle des systèmes spatiaux mériterait d’être étudiée plus méthodiquement. Pour ne citer que le GPS – selon un des articles, le centre de la gravité de la puissance militaire américaine actuelle –, je rappellerais combien cette constellation est robuste et que sa dégradation ne pourra être, le cas échéant, que graduelle et dans tous les cas particulièrement complexe. 
Spéciale mention enfin pour l’article de Béatrice Hainaut, qui s’intéresse à l’ISU [full disclosure : je fais partie de cette communauté]. Au-delà de l’élément de (bonne) surprise, il me semble néanmoins que l’analyse aurait pu être poussée plus loin ou agencée différemment je ne sais. Ainsi le relatif désintérêt par rapport aux questions militaires et ASAT me paraît relever d’un double mouvement : sincère d’une part, la croyance parfois béate que l’exploration du cosmos (un objectif en soi (sic) est-il besoin de le rappeler) ne pourra se réaliser qu’avec la coopération – sinon sous étendard américain, du moins dans le cadre d’un système de pensée et ensemble normatif américano-centrés – de toutes les nations du monde et que certaines questions sont plus à même de diviser que d’unir ; pratique d’autre part, témoignant non seulement d’une stratégie de survie alors qu’un des principaux bailleurs de fonds est depuis quelque année la Chine mais aussi et surtout d’un héritage plus technique que politique et surtout critique, plus problem-solving (optimisme et techno-déterminisme : la singularité, le NewSpace, etc.) que auto-réflexif et contre-hégémonique si l’on me permet d’utiliser cette distinction tirée du néo-gramscisme de Robert Cox (pourquoi, pour qui, plus que comment).

Je ne suis pas d’accord avec tout ce qui est dit, et certains points exposés par les auteurs mériteraient d’être nuancés. Mais je recommande tout particulièrement la lecture de cet opus, et pas seulement pour les articles que j’ai commis ! 



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire